Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes
de la Région de Bruxelles-Capitale

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Le Recouvrement des Créances Incontestées ou RCI (NOVEMBRE 2022)

Article publié dans les Echos du Crédit et de l’Endettement n°75 (juillet-août-septembre 2022). Voir ICI

MISE A JOUR de JANVIER 2023 - La loi prévoit désormais un délai d’un mois après la signification du PV de non-Contestation pour introduire un recours (voir dans le texte)

Les procédures de recouvrement d’une créance incontestée, de quoi s’agit-il ?

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Dan est un plombier indépendant. Il a reçu un courrier d’huissier qu’il ne comprend pas. Il s’agit de la signification d’une « sommation de payer ». Il consulte un service de médiation de dettes pour savoir de quoi il s’agit.

Dan a bien fait de ne pas négliger ce document parce qu’il s’agit en fait d’une étape importante de la procédure de Recouvrement des Créances Incontestées, appelée RCI (pour recouvrement de Créance Incontestée ou IOS en Néerlandais), qui permet au créancier de faire appel à la force publique pour récupérer sa créance sans avoir à passer devant un juge, à la condition que le débiteur ne fasse valoir aucune contestation.

Dans la procédure classique, un créancier qui veut récupérer une dette impayée est obligé de passer par la case « tribunal » avant de pouvoir confier les poursuites à un huissier. Le juge, en tant qu’autorité neutre et impartiale, a pour mission d’écouter les arguments des deux parties et de décider qui a raison et ce qui est dû précisément au regard des règles de droit en vigueur. Malheureusement, cette étape coûte cher et peut prendre (beaucoup) de temps. Or, du côté des tribunaux, on constate que beaucoup de débiteurs ne se présentent pas aux audiences ou ne contestent pas la dette, de sorte que le rôle des juges se limite, dans ces cas, à valider les demandes des créanciers.

C’est pourquoi en 2015 [1], le législateur a mis au point une procédure utilisable dans les affaires entre professionnels, qui prévoit l’inversion du contentieux. Cela signifie que le débiteur ne doit plus s’attendre à être convoqué automatiquement devant le juge. Le créancier peut, au terme de cette procédure (administrative), obtenir facilement un titre exécutoire. Si le débiteur n’est pas d’accord, il lui appartient de se manifester par écrit dans les formes et le délai requis. Ce qui forcera le créancier à repasser par la voie classique en citant l’entreprise débitrice à comparaitre devant le juge. Sans réaction du débiteur, le recouvrement pourra continuer et mener éventuellement à une saisie, sans qu’aucun juge ne se soit jamais penché sur le dossier.

Si Dan ne réagit pas à la sommation de payer, il risque donc de se retrouver avec un titre exécutoire contre lui, sur base duquel un huissier pourra pratiquer une saisie. Si Dan ne conteste pas la dette en question, il a donc intérêt à payer celle-ci au plus vite ou à demander des facilités de paiement.

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Justement, Dan qui est en conflit avec ce fournisseur, conteste la facture en question. Comment cela se passe-t-il concrètement ?

En annexe de la sommation de payer, Dan trouvera non seulement les pièces justificatives de la créance (dont la facture d’origine), mais aussi un formulaire de contestation [2]. S’il conteste la dette, il devra y inscrire ses arguments et retourner le formulaire complété à l’huissier. A noter qu’une contestation par téléphone ou qui n’utilise pas le formulaire n’est pas suffisante. Un recommandé n’est pas nécessaire mais quel que soit le mode choisi, il importe que Dan se réserve une preuve de cet envoi.

Ce formulaire peut également servir à demander un délai ou des facilités de paiement et doit être renvoyé DANS LE MOIS de sa signification.

A l’expiration du délai d’un mois, l’huissier devra encore attendre 8 jours supplémentaires pour laisser à la Poste le temps d’acheminer un éventuel courrier, au cas où Dan aurait choisi de procéder par courrier postal (un mail envoyé dans cette période ne sera pas pris en compte). Après ce nouveau délai, il sera en effet considéré que la dette n’est pas contestée et donc qu’une audience n’est pas nécessaire (voir ci-dessus).

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En fait, ce que Dan conteste, ce n’est pas tant le principal de la dette, mais plutôt les intérêts et autres frais supplémentaires qui lui sont réclamés. Il les trouve exorbitants.

L’audience permet habituellement au juge de vérifier la légalité de la dette et de ses suppléments. Les clauses pénales sont en effet souvent source d’abus et l’occasion pour le créancier de réclamer des frais qui ne sont pas toujours justifiés. Pour pallier à ce manque, le législateur fourni la procédure d’une double garantie.
D’une part, le créancier doit soumettre au préalable son dossier à l’analyse d’un avocat qui vérifiera si les conditions légales sont bien respectées et s’il n’y a pas de prescription. Dans l’affirmative il pourra mandater un huissier qui signifiera la sommation de payer.

D’autre part, le total des frais annexes (indemnités forfaitaire, frais et intérêts compris) ne pourront jamais dépasser 10% du principal [3]. Cela vaut pour toute la procédure de sorte que si les 10% ne sont pas atteints au moment du contrôle de l’avocat, les intérêts continueront à courir mais devront s’arrêter lorsque le total de 10% sera atteint. Les frais de l’huissier instrumentant ne sont évidemment pas concernés de même que les éventuelles majorations légales [4].

Dans une telle procédure, le débiteur bénéficie donc de la garantie que les frais supplémentaires seront plafonnés.

Plusieurs voix se sont élevées pour s’opposer à cette procédure invoquant que la possibilité d’obtenir un titre exécutoire sans passage par le juge portait atteinte aux droits du débiteur. L’OVB et l’OBFG ont même introduit des recours en annulation devant la Cour constitutionnelle, mais celle-ci a validé le système [5] en estimant que les droits du débiteur étaient suffisamment sauvegardés, tant qu’il s’agissait de professionnels agissant dans le cadre de leurs activités professionnelles.

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Dan doit-il avoir une raison valable de contester ?

Le créancier et son huissier n’ont reçu absolument aucun pouvoir décisionnaire par rapport à une contestation et même si celle-ci leur semble farfelue ou complètement injustifiée, ils n’auront pas d’autre choix que de laisser tomber, ou de porter l’affaire devant le juge. La seule exception concerne le cas où le formulaire ne contiendrait aucune motivation ou, ce qui revient quasi au même, que cette motivation est illisible.

Mais à partir du moment où le débiteur avance une raison en indiquant par exemple « parce que », ou « car » …, cela doit être considéré comme une contestation valable et l’huissier doit arrêter la procédure de RCI. La contestation peut porter sur la totalité de la dette, ou sur une partie de celle-ci, voire même être complètement « à côté de la plaque ».

L’huissier qui reçoit le formulaire de contestation pourra toujours jouer son rôle de médiateur, et essayer de résoudre le problème à l’amiable soit en tempérant son créancier si la contestation lui semble fondée, soit en expliquant au débiteur ce qu’il risque en refusant de payer sur base de motivations farfelues, mais il ne pourra en aucun cas reprendre la procédure de RCI.

De manière générale, on peut dire que le débiteur en défaut de paiement qui ne conteste pas une dette retire un certain avantage financier à l’utilisation de la procédure de RCI plutôt que la procédure classique. Car si les frais d’huissier restent plus ou moins identiques [6], il évite ainsi les frais de justice liées à l’audience à savoir l’indemnité de procédure, le droit de greffe ou encore le droit de participation au Fond d’aide Juridique de 2ème ligne. Par contre, le débiteur qui conteste encourt un risque supplémentaire puisque si le juge lui donne tort, il devra rembourser les frais de signification de la sommation de payer en plus des frais classiques liés à l’audience (citation, indemnité de procédure etc…)

Si Dan n’a pas de raison particulière de contester la dette, il lui est donc conseillé de ne pas s’opposer juste pour gagner du temps, mais plutôt d’utiliser le formulaire de contestation pour demander un plan de paiement.

A noter que le créancier a le droit de refuser une demande de termes et délais sans devoir fournir le moindre motif pour son refus. Il lui suffit d’en informer le débiteur pour que la procédure de RCI reprenne son cours. C’est quand même une importante différence avec la procédure classique qui permettait au juge d’imposer un plan de paiement raisonnable au créancier. Une nouvelle demande de plan de paiement pourra toujours être réintroduite plus tard, après le début de l’exécution judiciaire devant l’huissier exécutant. Celui-ci pourra l’accepter même sans l’accord de son créancier mais il basera sa décision sur les possibilités réelles d’exécution, c’est-à-dire que plus il détectera d’indices d’insolvabilité, plus il sera souple dans la négociation.

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Que se passera-t-il si Dan ne renvoie pas le formulaire de contestation ?

Dan a donc un mois à partir de la signification de la sommation de payer pour envoyer sa contestation via le formulaire. A défaut, le créancier pourra considérer que la dette n’est pas contestée et qu’elle ne nécessite pas de passer devant le juge. Il pourra charger l’huissier de rédiger un « Procès-Verbal de non-contestation ».
Attention, si le débiteur a demandé des facilités de paiement, le dossier est suspendu aussi longtemps que celles-ci sont respectées, ou qu’elles n’ont pas été refusées par le créancier.

Ce PV de non-contestation devra d’abord être envoyé au Comité de Gestion et de Surveillance auprès du fichier central des avis de saisie, pour recevoir la validation d’un de leurs magistrats. Après un contrôle (purement) formel, ce qui semble prendre seulement une à deux semaines, le Comité lui retournera le PV assorti de la formule exécutoire.

Dès ce moment, le PV de non-contestation a la même valeur qu’un jugement et pourra être signifié (avec commandement de payer) au débiteur par un huissier et ainsi servir de base pour procéder à une saisie.

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Une fois le PV de non-contestation signifié, Dan a-t-il encore la possibilité de réagir ?

La signification du PV de non-contestation ouvre effectivement un droit de recours dans le chef de Dan. Ce recours est suspensif c’est-à-dire qu’il stoppe nette toutes les actions de recouvrement en cours jusqu’à la décision finale. Pour ce faire, Dan doit lui-même provoquer une audience en déposant une requête contradictoire au greffe du Tribunal de l’Entreprise de son domicile. Cette requête doit contenir les formes imposées par la loi [7] et être accompagnée d’une copie du PV de non-contestation [8]. L’assistance d’un avocat est fortement conseillée mais n’est pas obligatoire.

A noter que la loi ne prévoit aucun délai spécifique pour le dépôt d’une telle requête de sorte qu’un recours reste possible même après les premières mesures d’exécution.
MISE A JOUR DE JANVIER 2023 La loi du 26/12/2022 portant réforme du statut des huissiers apporte en fait un changement majeur dans la procédure de Recouvrement des Créances Incontestées (ou RCI) valable entre professionnels puisqu’elle impose désormais un délai d’un mois après la signification du PV de non-Contestation pour introduire un recours, là où il n’y avait jusqu’ici aucun délai de prévu.

Avec la procédure de RCI, le créancier peut espérer faire l’économie d’un passage devant le juge, mais il s’expose au risque de voir les poursuites interrompues à tout moment, et à devoir comparaitre devant le juge pour défendre son dossier avec la probabilité de devoir assumer lui-même les frais de poursuites exposés jusque-là si le juge lui donne tort. A contrario, le débiteur qui s’oppose à tort pourrait voir les frais de justice s’ajouter aux frais d’exécution déjà exposés si le juge fait droit, ne fut-ce que partiellement, à la demande du créancier.

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Dan éprouve lui-même des problèmes de paiements parce qu’il attend le versement de plusieurs de ses clients qui ne le paient pas. Peut-il utiliser cette procédure ?

La procédure de RCI n’est prévue qu’entre entreprises, lorsque c’est un professionnel qui réclame une dette à un autre professionnel (ce qu’on appelle le B to B). En tant que plombier, Dan traite généralement avec des clients « particuliers » qui doivent être considérés comme des consommateurs (ce qu’on appelle le B to C) et une telle procédure simplifiée ne peut pas être utilisée contre eux.

Cependant, le secteur des entreprises est très demandeur d’une extension de cette procédure aux relations entre un professionnel et un particulier. Si le législateur a pour l’instant toujours refuser cette demande, il semblerait qu’il envisage d’autoriser le RCI pour le secteur du « non-profit » c’est-à-dire pour les créanciers qui ont un but « à priori » non lucratif comme les hôpitaux ou les écoles. Mais ce projet, qui poserait de graves questions en matière de protection des droits des consommateurs, rencontre l’opposition de plusieurs secteurs dont celui de la médiation de dettes [9]. Affaire à suivre donc.

Lors de nos actions de Lobbying, le CAMD a appris que certains acteurs prônaient l’extension de cette procédure simplifiée aux relations entre particuliers, ce à quoi nous nous sommes opposés en secteur dans l’avis suivant (publié en juin 2022).


[1Loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice (M.B., 22.10.2015, p. 65084) qui modifie les articles 1394/20 à 1394/27 du Code judiciaire et qui est entrée en vigueur le 02/07/2016.

[2Toutes les pièces transmises dans le cadre de cette procédure (sommation de payer, facture d’origine, demande de facilités de paiement, PV de non contestation, …) sont enregistrées dans un Registre Central des Créances Incontestées (ou RCCI) qui est tenu et géré par La Chambre Nationale des huissiers de Justice.

[3Article 1394/20 du Code Judiciaire

[4A notre connaissance, l’unique majoration légale connue à ce jour est celle visée par l’article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, et vise l’indemnité forfaitaire de 40 € prévue en cas de retard de paiement dans une transaction commerciale. Ces 40€ supplémentaires ne seraient donc pas concernés par la limite de 10% et peuvent être réclamés en plus.

[5C. Const., arrêt n°62/2018 du 31 mai 2018

[6La signification de la sommation puis du PV de non-contestation remplacent une citation et une signification du jugement

[7art 1034ter du Code Judiciaire

[8À peine de nullité

[9Voir l’avis du CAMD ici

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